Fiche personnage : pourquoi perdez-vous votre temps ?

Beaucoup d’auteurs utilisent des fiches de personnages. Ces dernières sont en effet parfois utiles à mieux cerner qui sont vos personnages et ce qui les caractérise le mieux. Cependant, dans bien des cas, une fiche personnage ne vous aidera en rien à écrire votre histoire ou à rendre votre personnage plus attachant. Pire encore, de nombreux auteurs perdent des heures, parfois davantage, à élaborer leurs fiches personnages. Et ces dernières, non seulement n’aident pas les auteurs à raconter une bonne histoire, mais en outre elles contraignent ces romanciers à rester dans des schémas qui sont néfastes :

  • au développement organique de vos personnages ;
  • à faire vivre vos personnages ;
  • à l’attachement du lecteur ;
  • et au bon déroulement de l’histoire.

Voici donc pourquoi, de mon point de vue, une fiche personnage doit être utilisée avec parcimonie. Et dans bien des cas, pour moi, vous n’avez pas besoin d’écrire votre roman avec cet outil.


Qu’est-ce qu’une fiche personnage ?


Définition d’une fiche personnage

Une fiche personnage contient une série de caractéristiques ou éléments destinés à aider un auteur à comprendre le comportement de son personnage. Parfois, il y a aussi une description physique.

Ni plus ni moins.

En toute franchise, tout autre élément ne vous sera d’aucune utilité. Un romancier qui remplit sa fiche parce que c’est le modèle utilisé et validé par un auteur à succès ne fait que perdre son temps.

Pour moi, si vous souhaitez absolument travailler avec des fiches personnages, vous n’avez qu’une seule question à vous poser : quels sont les éléments qui vous aident à comprendre pourquoi votre personnage se comporte ainsi ?

Encore une fois, le reste s’avère une perte de temps. Et à titre personnel, je préfère que vous dépensiez votre énergie à écrire votre roman plutôt qu’à réaliser des listes ou à répondre à des questions inutiles.

Que contient une fiche personnage ?

Je sais que de nombreux auteurs sont à la recherche d’un modèle prêt à l’emploi. C’est rassurant, surtout si ledit modèle a été validé par un auteur à succès. Cependant, votre manière de penser et de percevoir le monde est différente de ce même romancier ou dramaturge. Par conséquent, ce ne sont pas les mêmes éléments qui susciteront les déclics dans votre tête.

J’ai ainsi discuté avec une autrice qui m’expliquait que chacun de ses personnages avait une devise. Par exemple : « quand on veut, on peut ». Par un processus interne qui lui est propre, cette simple phrase lui permettait de savoir comment caractériser chacun de ses personnages. Inutile de vous dire que ce mode de fonctionnement ne me sert à rien, parce que mon cerveau ne fonctionne pas de cette manière. Tout le monde a ses propres processus mentaux.

C’est pourquoi je vous conseille de développer vos fiches personnages en faisant du sur mesure. Cela nécessite donc de réaliser des essais pour découvrir ce qui vous convient le mieux en tant que romancier.


La nature organique d’un personnage


Même les auteurs dont le processus narratif est proche de celui des « architectes » vous le diront : quand on commence à écrire, tout peut arriver.

Ce peut être :

  • une idée géniale qui surgit ;
  • une incohérence détectée en cours de route ;
  • le sentiment que quelque chose ne fonctionne pas ;
  • etc.

Plus encore, il est important de comprendre qu’un personnage est comme un être humain à bien des égards : leur nature est fluctuante. Un trauma peut en effet provoquer un changement du tout au tout dans son comportement. Et cela, votre fiche personnage ne vous permettra en rien de le détecter ou de le représenter de manière organique dans votre texte. Tout au plus vous donnera-t-elle une indication des grands axes de sa psyché. Et encore. C’est pourquoi des auteurs comme Stephen King insistent sur le fait que vous devez utiliser votre instinct plutôt que votre fiche.

Prenons l’exemple d’un personnage manipulateur. Est-ce qu’il va nécessairement passer son temps à manœuvrer dans l’ombre pour obtenir ce qu’il veut ? Oui, dans bien des situations. Pourtant, à certains moments, ce personnage peut au contraire se montrer impulsif, voire violent. Est-ce une incohérence ? Parfois. Cela peut aussi être lié à son passé ou à un trauma qui suscite chez lui une vive réaction. Êtes-vous capable de prévoir dans votre fiche ce qui fait « dérailler » votre personnage ? Si oui, j’avoue que je suis intéressé pour savoir comment vous faites (je suis sérieux).

Si vous suivez aveuglément votre fiche, alors vous ne serez pas en mesure de créer un personnage avec du relief. Et vos personnages seront plats, voire inintéressants. Ce qui rendra la lecture de votre roman beaucoup moins intéressante.


La limitation de la créativité et de l’intuition


C’est quelque chose qui m’est très personnel. Quand j’écris, j’ai besoin de lâcher les rênes. Je crois qu’Aurélie Wellenstein appelle cela « courir avec les loups ». Je ne suis donc pas le seul dans ce cas. Ouf !

Concrètement, la fiche personnage va vous enfermer dans des traits de personnalité et des arcs prédéfinis. Sur le papier, cela fonctionne bien. Mais le résultat, une fois que votre roman est écrit, peut paraître plat. Pourquoi ? Parce que tout y est minuté à la seconde près. Et cela se sent à la lecture.

Personnellement, les meilleurs éléments dans mes histoires sont ceux que j’ai injectés par intuition. Certes, cela nécessite de creuser ensuite (mais pourquoi mon personnage a-t-il fait cela ? C’est moi où il a un grave problème psychologique ?). Mais ce sont ces éléments que mes lecteurs retiennent le plus après avoir terminé le roman. Pour moi, le jeu en vaut donc la chandelle.

La vie, c’est chaotique. Il y a des accidents, des événements imprévus. Et l’écriture d’un roman imite dans une certaine mesure la vie. Il faut parfois qu’un auteur se laisse happer par son instinct et sa créativité, qu’il sorte des clous. Cela signifie donc injecter une partie de son inconscient aux personnages. Et une fiche avec une liste de caractéristiques ne vous permettra pas de faire une telle chose avec justesse.


Une fiche personnage ne vous aide pas à savoir quelle action caractérise le mieux votre personnage


Yves Lavandier considère qu’un personnage se caractérise essentiellement dans l’action. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que le lecteur ne retiendra du personnage que ce qu’il a accompli ou fait.

Par exemple, vous avez noté dans votre fiche que votre personnage est avare. Très bien. Mais comment montrer cette avarice concrètement dans votre texte ? Est-ce que le personnage refuse de donner de l’argent à une personne dans le besoin ? Nous sommes nombreux à le faire. Est-ce qu’il refuse de payer une rançon pour libérer un de ses enfants des mains d’un kidnappeur ? Là, on est déjà sur un niveau plus élevé d’avarice.

Plus encore, votre fiche personnage ne vous aidera pas à expliquer ce comportement. N’oublions pas qu’un personnage de roman a un monologue interne qui expose en partie ses raisonnements. Est-ce que le personnage va simplement dire : je ne paie pas la rançon parce que je suis avare ? Non, il y a de nombreuses autres clés de compréhension à apporter au lecteur. Quelle est l’histoire que se raconte votre personnage ?

De mon point de vue, c’est davantage votre expérience de vie et votre instinct qui parleront dans ces moments-là. Votre fiche personnage restera dans la plupart des cas au placard.


Remplir des fiches personnages, c’est ennuyeux… à moins que vous aimiez procrastiner


Personnellement, j’ai horreur de remplir des listes. Même une liste de course me donne de l’urticaire. C’est fastidieux et cela ne me sert que dans des occasions exceptionnelles (préparation d’une soirée, par exemple).

Créer une fiche pour chacun de mes personnages, c’est pour moi la même chose. Il s’agit d’un processus fastidieux qui détourne mon attention de l’écriture en tant que telle. Honnêtement, au risque de me répéter, le temps que vous investissez dans la création de ces fiches personnages pourrait être mieux employé. Par exemple, vous pourriez… écrire votre histoire.

Cela ne signifie pas que vous n’avez pas besoin de réfléchir à ce que vous faites. Travaillez simplement de manière intelligente. On a tous une vie personnelle chargée avec des impératifs divers et variés. Personne n’a envie d’utiliser son temps libre en remplissant des listes qui ne lui serviront peut-être qu’une fois ou deux lors de l’écriture.

J’ai par ailleurs entendu de nombreux auteurs expliquer qu’ils remplissaient des fiches… pour procrastiner. Alors, ce peut-être un excellent moyen de s’occuper le temps de comprendre les raisons d’un blocage (intrigue bancale, panne d’inspiration, etc.). Sait-on jamais ; cela pourrait même vous débloquer, non ? Plus sérieusement, si vous avancez sans problème dans l’écriture de votre roman, pourquoi vous embêtez-vous à remplir toutes ces listes ?


Utiliser des fiches personnages : mon cas particulier


Quand est-ce que j’utilise cet outil ?

La majorité du temps, j’écris sans réaliser de fiches personnages. Pourquoi ? Parce qu’elles ne me sont d’aucune utilité pour comprendre le comportement de mes protagonistes. Cela est lié à mon processus créatif, qui est très proche de celui d’un jardinier.

Tout au long du premier jet, je découvre le fonctionnement psychique de mon personnage. Généralement, ce n’est qu’à la fin de l’histoire que je suis en mesure de savoir à qui j’ai affaire. Pas avant. Et ce n’est que dans un second temps que je « rationalise » les réactions de tout le monde pour que le comportement de chacun soit cohérent tout au long de l’histoire.

Néanmoins, il m’arrive parfois d’avoir besoin de faire le point. C’est notamment le cas quand :

  • mon histoire contient beaucoup de personnages ;
  • quand mes bêta-lecteurs soulignent des incohérences ;
  • ou quand mes bêta-lecteurs peinent à différencier un personnage d’un autre.

Là, je sais qu’il y a un problème de caractérisation qu’il me faut adresser.

À quoi ressemblent mes fiches personnages ?

Dans ces cas-là, j’utilise le modèle suivant :

  • sa fonction narrative (allié, protagoniste, antagoniste, etc.)
  • la motivation principale du personnage ;
  • les valeurs du personnage (environ 3) ;
  • les attributs ou symboles du personnage (ce peut être un objet ou une activité tissée en métaphore filée tout au long du récit) ;
  • les archétypes du personnage (j’utilise les 12 archétypes de Jung et j’en attribue 3 à mon personnage) ;
  • et l’histoire personnelle du personnage (ses traumas, ses qualités et défauts, sa faille critique, ce qui compte pour lui, etc.).

Mon processus est le suivant : je passe en revue chacun de mes personnages. Si je vois qu’il y en a un ou plusieurs qui posent problème, c’est-à-dire un personnage où j’échoue à remplir mentalement les cases, alors je commence à réfléchir et à compléter la fiche. Pourquoi ? Parce que cela signifie que je comprends mal à qui j’ai affaire. Et donc, cela veut dire que le personnage est insuffisamment caractérisé.

Sur un roman où mes bêta-lecteurs ont relevé des problèmes, je ne réalise donc que 3 ou 4 fiches personnages. Rarement davantage.


Conclusion


Les fiches personnages ne sont pas un mal en soi. Même moi, je les utilise de temps en temps. Cependant, dans bien des cas, elles se révèlent une perte de temps qui vous empêche d’avancer sur votre histoire. Plus encore, ces fiches ne vous aideront pas à faire vivre vos personnages dans votre texte ou même à comprendre pourquoi vos personnages se comportent de cette façon. Et des personnages plats sont des personnages qui rebuteront le lecteur.

Au mieux, une fiche personnage c’est une béquille sur laquelle s’appuyer lorsque vous vous êtes cassé la jambe en faisant du hors-piste. Guère plus.


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