Créer un protagoniste dystopique : l’éveil de la conscience contre l’ordre établi

Fondamentalement, créer un protagoniste dystopique consiste à dépeindre une personne qui prend conscience que la société où il évolue ne tourne pas rond. Et ce processus est important, car l’ensemble du roman dystopique repose sur ce mécanisme narratif.

Voici quelques astuces pour créer un protagoniste dystopique efficace qui sert votre récit.


Définition et caractéristique d’un roman dystopique


Le mot « dystopie » vient de l’anglais « dystopia », qui à son tour est formé à partir du préfixe grec ancien :

  • « δυσ » (prononcé « dus »), signifiant « mal », « difficulté », ou « malheur »,
  • et du nom grec « τόπος » (prononcé « tópos »), signifiant « lieu », « endroit », ou « pays ».

La dystopie est donc un lieu où règne le malheur.

La dystopie (aussi appelée contre-utopie ou anti-utopie) est un sous-genre littéraire qui appartient très souvent au genre de la science-fiction. En effet, une histoire dystopique peut se dérouler dans un futur proche, ce qui fait dire à beaucoup qu’une dystopie est nécessairement un roman d’anticipation.

Cependant, certaines dystopies se déroulent dans le présent. Je pense notamment à l’excellent livre The Beach d’Alex Garland. Dans ce roman, l’auteur dépeint une société dystopique sur une île thaïlandaise à une époque contemporaine. Ce récit ne comporte ni technologie dystopique, ni aspect futuriste, ni contrôle de masse. À plus d’un titre, il s’agit d’une histoire romanesque qui fait penser à Robinson Crusoé. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une dystopie.

De mon point de vue, ce qui définit et caractérise avant tout une dystopie, c’est le fait qu’il s’agit d’une utopie qui a mal tourné. Et l’horreur peut prendre plusieurs formes :

  • totalitarisme ;
  • oppression ;
  • répression ;
  • société cauchemardesque ;
  • contrôle social ;
  • injustice sociale ou politique ;
  • surveillance ;
  • absence de liberté individuelle ;
  • négation de l’individu ;
  • fanatisme ;
  • etc.

En d’autres termes, vous pouvez très bien concevoir une dystopie en utilisant l’une des nombreuses communautés utopiques créées au 19e siècle de notre ère (phalanstères, communautés anarchistes, etc.).

En littérature, un roman dystopique est utilisé pour critiquer un aspect de notre société contemporaine en l’exagérant. Il peut donc s’agir d’une critique sociale, mais cette le message peut aussi concerner une technologie, une idéologie et ainsi de suite.


Qu’est-ce qu’un protagoniste dystopique ?


L’étymologie du mot protagoniste parle d’elle-même. Du grec :

  • « Prôtos » : qui veut dire « premier » ;
  • « Agônistês » : signifiant « qui lutte dans les jeux, athlète » (dérivé de « agôn », que l’on peut traduire par « assemblée, jeux publics ; lutte, combat »).

Le protagoniste est donc celui qui combat en premier. Selon Yves Lavandier, le protagoniste est celui qui vit le plus le conflit narratif dynamique. Pour le dire de manière simplifiée : un protagoniste correspond au personnage d’un roman qui agit pour atteindre son objectif. Par son dynamisme, le protagoniste fait progresser l’histoire vers son terme.

Créer un protagoniste dystopique revient donc à concevoir un personnage qui entre en rébellion dans une société qui ne tourne pas rond. En effet, outre le fait de faire avancer le récit, le rôle premier du protagoniste dystopique consiste à explorer et à montrer (en Show) l’horreur de la société dystopique pour réveiller la conscience des lecteurs.

À noter : il est rare que le protagoniste dystopique renverse la tendance dans la société où il vit. En effet, bien souvent les mécanismes qui l’entourent, à commencer par une politique dystopique, le dépassent et il est le seul à avoir conscience des aspects dystopiques de la société. Une vraie révolution ne s’effectue pas en solitaire…

À ce sujet, je vois souvent Hunger Games classé dans les dystopies. Pour moi, il s’agit d’une erreur : un roman qui se déroule au sein d’une dictature n’est pas nécessairement une dystopie. Si Hunger Games avait été une dystopie, il n’y aurait pas eu besoin du Hunger Games pour contrôler la populationMoins qu’une dystopie, je dirais plutôt que l’on est dans ce cas en présence d’une dictature autoritaire déliquescente avec de nombreux opposants.


Créer un protagoniste dystopique : les premiers pas


Le protagoniste dystopique et son objectif sont directement liés aux aspects dystopiques de la société où il évolue. En d’autres termes, l’intrigue, le personnage et le milieu (univers du récit) découlent du concept même que vous avez souhaité développer pour votre dystopie.

Prenons l’exemple de The Beach. Au cœur même de ce roman se trouve la fuite de la société moderne et de la société de consommation, stigmatisée comme la source de tous les maux et incarnée par le tourisme de masse. La dystopie se déroule donc sur une île déserte coupée des circuits touristiques et où ses habitants se nourrissent grâce à la pêche et le jardinage. Les habitants ont à cœur de vivre une existence « plus humaine ». L’ennemi de cette petite « utopie » n’est autre que :

  • la faim ;
  • les autres touristes ;
  • et les trafiquants de drogue qui font pousser leur produit de l’autre côté de l’île.

Richard, le protagoniste, est quant à lui un touriste qui recherche une île paradisiaque (le terme n’est pas choisi par hasard) , c’est son objectif. Accessoirement, Richard fuit sa vie actuelle (c’est sa faille, et ce qui le pousse à vouloir s’isoler du reste du monde). Tout le parcours de Richard consiste donc à découvrir en quoi la société utopique de la plage est en réalité une dystopie où règne la peur, l’isolement, la faim et la discorde.

Dans la même veine, si l’on s’intéresse à 1984 de Georges Orwell, le thème du roman est une société totalitaire qui souhaite contrôler l’esprit et le cœur de ses habitants. L’objectif de Winston consiste donc à conserver son libre arbitre et sa liberté d’aimer ou détester la personne de son choix. Le mécanisme narratif est donc exactement le même.

Ainsi, pour créer un personnage dystopique, demandez-vous en premier lieu ce que cherche à contrôler votre société dystopique. Et faites en sorte que votre personnage veuille la même chose.


L’éveil du héros : Le processus de rébellion


Si le protagoniste dystopique veut la même chose que la société où il évolue, ce personnage se trouve dans une situation très particulière qui permet à ce dernier un éveil de la conscience.

Dans The Beach, Richard occupe trois positions très différentes des autres.

Il est chargé de la sécurité ; il surveille donc les activités des trafiquants de drogue qui occupent la deuxième moitié de l’île. Cette occupation lui permet de :

  • prendre de la distance avec le reste de la communauté ;
  • d’être rejeté par les autres, qui le soupçonnent d’être l’homme de main de la dirigeante de la plage ;
  • et donc d’être isolé du reste.

Ensuite, Richard est aussi chargé de retourner de temps en temps à la civilisation pour acheter des vivres de première nécessité, par exemple le riz. Cela l’aide à prendre conscience :

  • du décalage progressif qui se creuse entre lui et le reste de la société,
  • du fait que la communauté vit en vase clos,
  • et de l’embrigadement qui règne sur la plage.

Enfin, contrairement aux autres, il n’a pas été coopté pour rejoindre la plage ; il l’a trouvée tout seul grâce à la trahison de l’un des anciens membres de la communauté.

Créer un protagoniste dystopique consiste donc dans un premier lieu à le positionner dans une situation qui lui permette de prendre conscience des problèmes qui l’entourent. C’est à partir de là que le protagoniste se transforme en « héros rebelle » et qu’il commence à agir. Car s’il est aux proies avec le même problème que la société dystopique, ses méthodes pour parvenir à ses fins diffèrent de celle de la communauté contre laquelle il se révolte.


Astuces pour créer un protagoniste dystopique


Contrairement à d’autres types de récits comme la romance, dans un roman dystopique, le protagoniste n’a pas besoin d’être trop développé. En effet, si votre personnage prend trop de place dans votre histoire, il risquerait d’éclipser l’horreur du système que vous souhaitez dénoncer.

Cela dit, encore une fois, The Beach brise un peu ce mécanisme narratif là, puisque Richard connaît une évolution. Et c’est d’ailleurs tout l’intérêt de ce roman, qui est à la croisée entre plusieurs genres et plusieurs types de récits. D’où l’importance de connaître les codes, mais de rester ouvert pour ne pas en être prisonniers.

Si le « milieu » aussi appelé « univers du récit » est le personnage principal dans une dystopie, le protagoniste ne doit cependant pas être complètement négligé. Après tout, c’est lui qui porte l’intrigue. De plus, vous souhaitez tout de même que le lecteur s’identifie un peu à lui.

Je vous conseille donc de lui donner :

  • un objectif (nécessaire pour le conflit narratif) ;
  • des qualités et des défauts ;
  • une histoire personnelle ;
  • un réseau relationnel ;
  • et dans certaines circonstances une faille morale (si vous avez besoin d’une évolution, comme c’est le cas dans The Beach).

Tous ces points vous permettront de créer un protagoniste dystopique qui inspire de la sympathie au lecteur. Et qui dit sympathie, dit identification au personnage et ses difficultés. Et donc, vous avez plus de chances que le lecteur se laisse emporter dans le récit.


L’enjeu du conflit narratif : la remise en question de l’ordre établi


Le protagoniste dystopique et la société (l’antagoniste) veulent très souvent la même chose. Et tout l’enjeu de l’histoire, c’est de savoir qui l’emportera.

Dans 1984, Winston perd la bataille. À la fin de l’histoire, il aime Big Brother. Dans The Beach, Richard finit par s’évader de la plage. Plus encore, il est enfin content de l’existence qu’il mène et il ne cherche plus vraiment à fuir sa vie (sa faille morale). Il a donc remporté la bataille, mais uniquement parce qu’il avait la possibilité de quitter l’endroit, contrairement à Winston.

Dans chacun de ces deux romans, la société dystopique (l’antagoniste) met en place des mécanismes pour embrigader la communauté. Et tout le travail du protagoniste consiste à :

  • les découvrir,
  • à prendre conscience de leurs effets délétères
  • et parfois à les combattre en entrant en résistance.

Dans The Beach, les principaux rouages de l’autorité et de l’embrigadement sont :

  • la cheffe de la communauté qui exerce une autorité sans partage ;
  • l’isolement du reste de l’humanité ;
  • l’idéologie du plaisir permanent / de la fuite du réel ;
  • et la pression des autres.

Tout le parcours de Richard a consisté à découvrir ces mécanismes, à s’en horrifier et à la fin de fuir la dystopie. Ainsi, créer un protagoniste dystopique ne suffit pas, il faut également forcer ce dernier à se confronter aux rouages dystopiques, soit pour le broyer, soit pour l’aider à changer. Et chacune des décisions prises par le protagoniste le définira un peu plus aux yeux du lecteur. D’où l’importance de travailler avec soin les mécanismes dystopiques pour faire ressortir ce que vous souhaitez.


Conclusion


Pour créer un protagoniste dystopique, il est important de :

  • le positionner à un endroit qui lui permette de prendre du recul,
  • de lui donner la possibilité d’éveiller sa conscience,
  • de lui donner un objectif,
  • et de le faire agir en fonction de sa caractérisation afin de mener l’intrigue jusqu’à son terme.

Quoi qu’il en soit, la création soignée de l’univers dystopique est au centre du roman.


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