Écrire un roman dystopique : inventer une société glaçante

Écrire un roman dystopique reste de mon point de vue un exercice très difficile. En effet, la puissance de la dystopie repose entièrement sur la société que vous créerez. Si la dystopie est trop légère, le lecteur ne tremblera pas et votre message passera inaperçu. Si votre société est au contraire trop caricaturale dans son système d’oppression, le lecteur n’y croira pas.

Pour écrire un roman dystopique, vous devrez donc concevoir une société (très souvent totalitaire) qui soit convaincante et glaçante.

Cet article vous donne quelques clés pour y parvenir.


Qu’est-ce qu’une dystopie ?


Définition de la dystopie

La dystopie, aussi appelée contre-utopie ou anti-utopie, appartient principalement au genre littéraire de la science-fiction. Écrire un roman dystopique consiste à représenter une société imaginaire où certains aspects de notre monde contemporain ont été accentués et systématisés. À cause de ces exagérations dramaturgiques, les personnages qui vivent dans ce monde connaissent une existence très difficile, voire impossible.

Les auteurs ou cinéastes utilisent bien souvent la dystopie pour dénoncer ou critiquer un régime, une idéologie, un aspect de notre société, l’usage d’une technologie, etc. Contrairement à l’utopie, qui imagine un monde idéal, la dystopie explore les aspects sombres de l’humanité et de la société.

Parmi les dystopies les plus célèbres, on compte :

  • 1984 de Georges Orwell,
  • Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley,
  • et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury

Chacune de ces dystopies explore un monde totalitaire, mais différent. Dans 1984, Georges Orwell montre une société de la surveillance fondée sur l’amour d’un leader, Big Brother. De son côté, Aldous Huxley décrit une dystopie où la société est organisée pour éviter toute souffrance à l’individu (drogue, antidépresseur, etc.) et où chaque personne est infantilisée. Dans Fahrenheit 451, Ray Bradbury dépeint une société qui refuse le savoir (les pompiers brûlent les livres) pour se focaliser sur la consommation de biens.

Écrire un roman dystopique : spécificités dans la construction narrative

Écrire un roman dystopique revient à écrire ce qu’Orson Scott Card appelle un roman dit de « milieu ». Dans ce type de récit, c’est l’univers qui est au cœur de la narration. En conséquence :

  • l’intrigue est un prétexte pour explorer les mécanismes qui fondent l’oppression systématisée, la société déshumanisée et le futur désespéré que vous avez inventé ;
  • beaucoup des personnages sont des archétypes, car s’ils sont là pour symboliser un mécanisme du système ;
  • et la tension narrative est fondée en grande partie sur l’horreur que le lecteur éprouve en explorant ce monde.

Bien entendu, cela ne signifie pas que les personnages ou l’intrigue ne sont pas importants en dystopie. Ces deux aspects restent fondamentaux (et vous devez les travailler !). Cependant, en dystopie, c’est l’univers qui prime sur le reste.

Société totalitaire et dystopie

1984 est l’un des romans qui a le plus fortement contribué à la popularité des dystopies en Occident. Et pour cause, écrit en 1949, ce roman explore le totalitarisme du régime communiste. Il reprend ainsi l’imagerie du totalitarisme stalinien, avec des portraits de Big Brother (comprenez Staline) partout, un culte de la personnalité, de la propagande, etc.

Pour cette raison, la dystopie est très souvent une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper. Au sein de cette société, les dirigeants exercent bien souvent une emprise totale sur les citoyens. Très souvent aussi, ces derniers n’ont plus la possibilité d’exercer leur libre arbitre.

Cependant, ces aspects ne sont pas obligatoires dans une société dystopique. Je pense notamment à (l’excellent !) roman The Beach, qui dépeint une utopie sur une île thaïlandaise qui vire à la dystopie. Ce roman est particulier dans la mesure où :

  • la technologie y est absente,
  • l’aspect totalitaire de cette société y est beaucoup moins marqué,
  • et les habitants de la plage conservent leur libre arbitre.

Pourtant, il s’agit bel et bien d’une dystopie, fondée sur la peur et la faim. Aussi, pour écrire un roman dystopique, il est important de conserver un esprit ouvert, sous peine de se fermer certaines portes.


Écrire un roman dystopique en exagérant le réel


Au cœur de toute société dystopique, il y a un élément du monde contemporain que le romancier a isolé, grossi, magnifié et systématisé au point de rendre l’existence des individus impossibles.

Observer le monde contemporain

Dans 1984, Georges Orwell a mis l’accent sur les éléments suivant :

  • la surveillance (caméras, Big Brother is watching you)
  • la propagande (messages officiels, le personnage principal a pour fonction de réécrire le passé),
  • la censure (le héros tient un journal intime, ce qui est dangereux),
  • le culte de la personnalité (les portraits partout).

Cependant, ces aspects-là sont le fruit de son sujet : l’URSS stalinienne. Pour écrire un roman dystopique, vous n’êtes pas obligés d’en passer par là. Au contraire. Je vous encourage à vous emparer de nos problématiques contemporaines pour les explorer. J’ai ainsi vu passer des dystopies fondées sur :

  • les réseaux sociaux,
  • le culte de l’apparence,
  • l’intelligence artificielle,
  • la popularité des individus,
  • etc.

En définitive, si vous souhaitez écrire un roman dystopique, votre première tâche consiste à observer le monde contemporain pour en isoler ce que vous considérez comme un danger ou un problème. Pour cela, il vous faudra vous appuyer sur vos connaissances et vos valeurs personnelles. Si quelque chose vous semble horrible, il existe de grandes chances pour que ce soit le cas pour d’autres.

Petit exemple d’observation du monde contemporain : la veille d’écrire cet article, j’ai entendu qu’en Chine, des entreprises utilisent l’intelligence artificielle pour « capter l’essence d’un individu décédé » et permettent à ses proches de discuter avec lui après sa mort. Cela m’a tout de suite inspiré une dystopie.

Écrire un roman dystopique en amplifiant les tendances observées

La société dystopique fonctionne grâce à l’exagération. Orwell a utilisé la satire (Animal Farm), mais ce n’est pas la seule possibilité. Encore une fois, cet aspect-là était le fruit de son propre sujet d’étude pour son roman. Pour écrire un roman dystopique, vous devez partir vous aussi de votre sujet et l’amplifier. À partir de là, vous devrez imaginer ce que serait la réalité, si cette dernière était entièrement organisée sous ce prisme-là.

L’objectif de l’auteur est de faire ce que j’appelle tirer le fil de votre sujet pour obtenir la société dystopique la plus terrifiante possible. Pour cela, il s’agit de s’intéresser à tous les aspects de notre vie (politique, relations humaines, etc.).

Reprenons mon exemple d’intelligence artificielle et le fait de faire parler les morts. Voici quelques éléments que vous pourriez intégrer à une dystopie :

  • le pouvoir est exercé par un héros mort depuis 200 ans (et donc, par un programme informatique),
  • la société est organisée pour que seule une élite puisse accéder à « la vie éternelle »,
  • les morts ont plus de pouvoir que les vivants,
  • les vivants ne prennent plus de décisions,
  • les vivants prennent pour exemple les programmes informatiques,
  • quid des relations amoureuses ?
  • etc.

Par ailleurs, le fondement de cette société serait le préjugé selon lequel on devient plus sage avec l’âge et l’expérience. Et cela (me) pose également des questions intéressantes comme : quel est le poids des morts dans nos sociétés contemporaines (par exemple Platon, Confucius ou Nietzsche) ? Est-ce qu’ils nous aident à penser ou au contraire nous empêchent-ils d’évoluer ?

Une fois que vous avez tout cela, il vous suffit de déployer chacun de vos fils pour voir à quoi la réalité ressemblerait dans de telles conditions.


Écrire un roman dystopique : les personnages dans l’univers


Les personnages sont bien souvent des archétypes destinés à symboliser l’un des mécanismes de votre monde dystopique. Cependant, tous n’auront pas le même rôle pour mettre votre univers en valeur.

Le protagoniste

Le protagoniste d’une dystopie a pour fonction de mener l’exploration de votre univers dystopique via l’intrigue. Généralement, il est dans une position qui lui permet de prendre conscience que l’univers dans lequel il vit ne tourne pas rond. Et à la suite d’une prise de conscience, il se fixe un objectif qui le pousse à se heurter aux différents rouages du système dystopique mis en place.

Par exemple, Winston Smith travaille au ministère de la Vérité. Sa tâche consiste à réécrire le passé pour que celui-ci corresponde aux dogmes du régime. En conséquence, il est très bien placé pour savoir que son monde ne tourne pas rond.

Le protagoniste est (normalement) le personnage le plus développé. Cependant, encore une fois, c’est l’univers (le milieu) qui prime et dans l’écriture d’une dystopie. Ainsi, contrairement à ce qui est souvent affirmé (comme un dogme), vous n’avez en aucune façon l’obligation de faire évoluer votre personnage principal. Dans certaines situations, cela pourrait même se révéler contre-productif, car le personnage prendrait le pas sur le milieu. Si vous souhaitez écrire un roman dystopique où votre personnage évolue, assurez-vous que cette évolution soit justifiée par votre sujet et votre intrigue.

Les personnages secondaires

Un personnage secondaire est un personnage qui est lié au protagoniste d’une manière ou d’une autre. Le personnage secondaire peut soit être un allié, soit quelqu’un de neutre, soit s’opposer au protagoniste de façon ponctuelle (dans ce cas-là, il devient l’antagoniste).

Dans une contre-utopie, où les personnages sont moins développés que par exemple dans une romance, les personnages secondaires symbolisent un rouage de la machine dystopique.

Prenons l’exemple de Syme, un collègue de Winston Smith au ministère de la Vérité dans 1984. C’est un linguiste chargé de rédiger le dictionnaire de la Novlangue dans le but de limiter le vocabulaire et réduire la pensée à sa plus simple expression. Dans le roman, il explique à Winston comment il s’y prend et les mécanismes qui se dissimulent derrière cette activité. Cela permet au lecteur d’en apprendre davantage sur le système totalitaire. Ce personnage secondaire remplit ainsi parfaitement sa fonction. Plus encore, Syme est tout de même doté d’une certaine personnalité : il croit fermement dans les principes du régime, il est persuadé du bien-fondé de ses actions, mais il est complètement inconscient de sa propre soumission malgré son intelligence. On ne sait cependant pas grand chose de plus sur lui. Le personnage secondaire en reste donc au stade archétypal.

Au vu des objectifs de Georges Orwell, le lecteur n’a ainsi pas besoin d’en savoir davantage sur Syme.

L’antagoniste

L’antagoniste (qui peut être représenté par tout une constellation de personnages) a pour objectif de faire échouer le protagoniste dans sa quête. Bien souvent, il souhaite la même chose que le protagoniste, d’où l’affrontement (physique, verbal ou symbolique) qui les oppose.

Lorsque l’on écrit un roman dystopique, l’antagoniste représente le régime ou le système contre lequel le protagoniste est aux prises. Il est donc un rouage du système lui aussi, mais un rouage chargé de préserver le même système.

Pour en revenir à 1984. Winston et le régime veulent la même chose : Winston veut contrôler son esprit et son affection ; le régime veut quant à lui contrôler l’esprit de Winston et obtenir son affection. Parmi les antagonistes rencontrés par Winston, il y a par exemple M. Charrington, qui est un membre de la police de la pensée, et O’Brien, qui finit par torturer Winston et le pousser à aimer Big Brother.

Si O’Brien et Charrington sont caractérisés, ils restent tous les deux des archétypes dont la fonction est de montrer l’ampleur et l’horreur du monde dystopique et totalitaire de 1984.


Conclusion


Écrire un roman dystopique revient à imaginer une société glaçante où l’individu n’est plus qu’un rouage d’une machine géante qui le dépasse.

Pour ce faire, un romancier doit mettre en avant l’univers (aussi appelé milieu) où se déroule l’histoire tout en réduisant l’ampleur des personnages, afin que ces derniers soient réduits au statut d’instrument.

L’univers dystopique se déploie à partir d’une idée. Le travail du romancier consiste alors à imaginer à quoi ressemblerait une société où tous les aspects de la vie quotidienne serait imprégnée par cette même idée (glaçante !).

Quoi qu’il en soit, pour que votre dystopie soit réussie, vous devrez inventer une intrigue qui pousse votre personnage à explorer votre univers.


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