Faire une bêta-lecture, c’est relire un roman en apportant à son auteur deux éléments importants : les ressentis du bêta-lecteur (la position de lecteur) et une analyse technique (la position du diagnostic). C’est aussi laisser l’auteur maître de ses écrits.
Beaucoup pensent qu’être bêta-lecteur, cela s’improvise. Après tout, il suffit de lire un texte, de dire ce que l’on en pense et de « critiquer » le travail de l’auteur. Il suffit de faire lire son manuscrit à un proche, et le tour est joué. Même un élève de CP peut le faire. Rien n’est moins vrai !
De nombreux auteurs témoignent ainsi de retours « bruts de décoffrage » de la part de proches qui comprennent mal l’implication émotionnelle d’une bêta-lecture pour un auteur.
D’autres auteurs témoignent aussi de leurs difficultés à reprendre leur texte une fois la bêta-lecture reçue, car cette dernière ne contenait pas les éléments dont ils avaient besoin pour avancer dans la bonne direction.
Outre le doigté nécessaire pour faire comprendre à l’auteur les points éventuels qu’il lui faut redresser dans son manuscrit, faire une bêta-lecture consiste à apporter à un auteur un certain nombre d’éléments indispensables. Sinon, l’auteur ne pourra pas faire progresser le manuscrit comme il le souhaite.
Définition d’une bêta-lecture
Qu’est-ce qu’une bêta-lecture ? Une bêta-lecture est une relecture analytique d’un manuscrit. Le bêta-lecteur s’intéresse autant au fond de l’histoire qu’à sa forme. La bêta-lecture est un avis complètement subjectif qui est utilisé par l’auteur comme base de travail pour reprendre une histoire.
Une bêta-lecture réussie est un exercice de haute voltige qui consiste à aiguiller l’auteur sans se substituer à lui. De plus, faire une bêta-lecture consiste à apporter des éléments très précis à l’auteur sans lesquels le bêta-lecteur n’aidera pas vraiment l’écrivain.
L’utilité principale d’une bêta-lecture est d’aider l’auteur à prendre du recul sur son manuscrit. En effet, en testant le manuscrit, le bêta-lecteur aide l’auteur à dégager les principaux axes d’amélioration du roman.
L’intention de l’auteur
Un roman porte nécessairement des intentions même si parfois l’auteur a des difficultés à les formuler. Faire une bêta-lecture consiste à s’enquérir de ces intentions avant de faire le moindre retour à l’auteur.
Les intentions de l’auteur : qu’est-ce que c’est ?
Concrètement, les intentions de l’auteur correspondent au résultat final qu’il souhaite obtenir avec son roman. En d’autres termes, c’est le roman qu’il veut écrire.
Ces intentions se matérialisent de plusieurs manières :
- le public ciblé (jeunesses, adolescent, etc.) ;
- le genre de récit ;
- le message qu’il souhaite véhiculer ;
- les thématiques qu’il souhaite traiter ;
- etc.
Il arrive que l’auteur n’ait pas conscience des thématiques qu’il aborde. Le travail du bêta-lecteur consistera alors à le relever pour aider l’auteur dans sa démarche.
Concrètement, les intentions d’un auteur peuvent être formulées en quelques lignes.
Par exemple :
« J’ai voulu écrire une tragédie moderne pour adulte qui traite des dégâts de l’économie contemporaine sur la psyché de l’individu. »
Il n’en faut parfois pas davantage. Le bêta-lecteur comprendra alors que le roman a une nature engagée, et il devra s’adapter à cela pour aider l’auteur.
Pourquoi tenir compte de l’intention de l’auteur ?
Cela permet d’orienter le retour dans la direction souhaitée par l’auteur. En effet, il faut savoir s’adapter aux besoins d’un auteur, sans quoi les retours ne l’aideront malheureusement pas.
Par exemple, l’écrivain a souhaité faire une tragédie. Imaginons que le bêta-lecteur aime les fins heureuses. Après la lecture du manuscrit, il fait remarquer à l’auteur qu’il a raté sa fin. Au lieu d’une fin tragique, le bêta-lecteur est persuadé qu’une fin optimiste serait préférable. Selon toute probabilité, l’auteur va ignorer cette remarque qui ne lui sera d’aucune utilité.
Connaître les intentions de l’auteur aide également le bêta-lecteur à évaluer le résultat final et s’il correspond bien à la volonté originelle de l’écrivain.
Par exemple, si le relecteur a éclaté de rire tout au long de la tragédie, il est évident que l’auteur a raté son coup.
Quand demander à l’auteur son intention ?
De mon point de vue, cela dépend de la manière de travailler du bêta-lecteur et du mode de bêta-lecture.
Si le bêta-lecteur rend par exemple une fiche lecture, le mieux à mon avis est de lire le roman (pour se faire une idée) et de s’enquérir ensuite auprès de l’auteur de ses intentions. À partir de là, le bêta-lecteur pourra élaborer une fiche lecture pertinente.
Quand le bêta-lecteur travaille plutôt sur le détail (par exemple une synthèse pour chaque chapitre), alors cela signifie que l’auteur s’est (normalement) déjà interrogé en amont sur toutes ses intentions. Il est donc plus efficace de savoir avant de bêta-lire ce que l’auteur a cherché à faire. De cette manière, le bêta-lecteur pourra traquer tous les petits détails qui nuisent à l’intention de l’auteur.
Quels sont les éléments nécessaires pour faire une bêta-lecture ?
La position du lecteur
L’un des éléments clés pour faire une bêta-lecture est ce que Yves Lavandier appelle la « position du symptôme », ou la position du lecteur. Concrètement, il s’agit de transmettre à l’auteur ses émotions en tant que lecteur :
- À quel personnage le lecteur s’est-il identifié ?
- Quel personnage le lecteur a-t-il détesté ?
- Comment le lecteur perçoit-il les personnages ?
- À quel moment le lecteur a-t-il ri ?
- À quel moment s’est-il ennuyé ?
- Quels sont les problèmes de lecture qu’il a rencontrés ?
- etc.
La position du lecteur correspond donc à une position de ressenti. Elle commence obligatoirement par le pronom « je ». Par exemple, « je n’ai pas compris pourquoi le personnage a tué son épouse avant de se suicider » ; ou encore : « j’ai eu des difficultés à rentrer dans le texte ».
La position du lecteur est extrêmement utile à un auteur, car cela lui permet de prendre connaissance des réactions d’un lecteur. Si celui-ci a trouvé comique le moment le plus tragique de votre roman (ce que je ne souhaite à aucun auteur), c’est une indication très précieuse pour l’auteur (même si cela peut être déprimant).
La position du lecteur peut être réalisée sous la forme d’annotations dans le texte ou sous la forme d’une synthèse.
La position du diagnostic
Reprenons un exemple précédent. Le ressenti du bêta-lecteur est le suivant : « J’ai eu des difficultés à rentrer dans ton manuscrit. Le premier tiers de ton histoire ne m’a pas captivé ». Imaginons que le bêta-lecteur en question correspond bien au public cible du manuscrit de l’auteur. Si la bêta-lecture s’arrête à la position du lecteur, pour l’auteur, cela lui fait une belle jambe ! Il ignore ce qu’il faudrait modifier pour que ce maudit premier tiers fonctionne. (Je comprends et partage cette frustration pour l’avoir moi-même vécue sur ce point précis). 🙂
C’est pourquoi faire une bêta-lecture consiste nécessairement à réaliser une partie « diagnostic » du manuscrit. Il y a nécessairement 2 choses dans cette partie diagnostic :
- ce qui fonctionne (ce que l’auteur a réussi) ;
- et ce qui fonctionne moins bien (ce que l’auteur a besoin de retravailler en priorité).
Ce qui fonctionne
Les points qui fonctionnent, c’est bien souvent ce que beaucoup de bêta-lecteurs oublient. Qu’est-ce que l’auteur a réussi ? Et c’est une partie fondamentale d’une bêta-lecture réussie, car c’est tout simplement ce qui permet à un auteur de comprendre ses points forts. Quels sont les éléments de son récit qui font vibrer son lecteur ?
Pourquoi est-ce important ? Cela évite à l’auteur de détricoter ou détruire les points réussis au cours d’une crise de doute aiguë où il a l’impression que tout ce qu’il a écrit, c’est pourri. (Anecdote personnelle). 🙂 Cela lui permet de se concentrer sur les éléments les plus problématiques de son manuscrit. De quoi, effectivement, améliorer son histoire. De plus, s’entendre dire qu’on a réussi quelque chose, c’est bon pour le moral ! Et un auteur qui a le moral, c’est un auteur qui a l’énergie de corriger son manuscrit.
Ce qui fonctionne moins bien
Cette phase de diagnostic est à relier aux ressentis de votre lecteur. C’est donc de la « position du lecteur » qu’il faut partir pour réaliser un diagnostic.
Concrètement, le bêta-lecteur a eu des difficultés à rentrer dans le premier tiers de l’histoire. Le relecteur va alors s’intéresser aux mécanismes narratifs en jeu sur cette partie pour livrer à l’auteur une analyse des problèmes. Dans le cas qui nous intéresse, ce peut-être par exemple un problème de conflit narratif : le récit commence trop tôt, et le premier acte est donc trop long. Mais, ce peut être de nombreux autres facteurs.
Une bêta-lecture efficace livre à l’auteur des analyses concrètes étayées par des exemples tirés du manuscrit. Ces analyses seront de précieux outils pour l’auteur, lorsqu’il retravaillera son manuscrit, car elles constituent des pistes de corrections très intéressantes. Cependant, faire une bêta-lecture ne signifie jamais donner à l’auteur du manuscrit la solution à ses problèmes.
Faire une bêta-lecture : ne jamais se substituer à l’auteur !
Ce point peut sembler évident, pourtant c’est beaucoup plus difficile à faire qu’il n’y paraît, à plus forte raison si vous, bêta-lecteur, écrivez également de la fiction. En effet, le bêta-lecteur va s’approprier le texte à mesure qu’il l’analyse, il va le voir sous son propre prisme, et les modifications nécessaires vont lui sembler aller de soi. Mais, un bêta-lecteur qui dit à un auteur comment modifier son texte commet une erreur. Le bêta-lecteur n’est pas l’auteur. Il peut seulement donner ses ressentis et faire un diagnostic.
Faire une bêta-lecture : les suggestions, c’est le mal
La distinction entre diagnostic et suggestion est parfois difficile à faire. Pourtant, la différence est de taille. Le diagnostic va donner à l’auteur l’origine du problème et ses symptômes dans le texte. La suggestion va carrément essayer de résoudre le problème à la place de l’auteur.
« Ce personnage est inutile ! Tue-le au chapitre 2. Fais en sorte que l’héroïne tombe amoureuse du héros au chapitre 4. Puis, ils auront une dispute de couple au chapitre 9, ce qui te permettra de les réconcilier, avec une scène coquine pour pimenter le tout au chapitre 17 ! Et boom, tu auras une tension narrative qui sera au top du top ! »
Même si cela peut sembler anodin au premier abord, ce serait une erreur de la part d’un bêta-lecteur de faire une telle suggestion. Une bêta-lecture réussie ne comporte jamais de suggestions pour trois raisons très importantes :
- L’auteur a des ambitions pour son texte, un message à faire passer ou autre. Parfois, c’est même complètement inconscient comme cheminement logique. Et si le bêta-lecteur s’approprie le texte, il risque d’endommager ce cheminement logique, et donc de brouiller la lecture du texte et sa compréhension.
- Le bêta-lecteur ne comprend pas nécessairement ce qu’a voulu écrire l’auteur. Le relecteur risque donc de faire des suggestions complètement à côté de la plaque, et faire douter l’auteur pour rien.
- C’est tout simplement intrusif pour l’auteur qui veut raconter SON histoire.
Pour faire une bêta-lecture réussie, il vaut mieux formuler les choses de cette manière :
- J’ai eu du mal à rentrer dans le texte (premier tiers) – position du lecteur ;
- Pour moi, le début du récit (position du diagnostic) :
- manque de conflit narratif ;
- et il n’est pas suffisamment resserré autour de l’intrigue principale, ce qui fait que cela donne des impressions de longueur à la lecture.
Et le bêta-lecteur donne plusieurs exemples pour faire comprendre à l’auteur pourquoi son texte manque de tension narrative à ces moments précis (symptômes dans le texte).
Charge ensuite à l’auteur d’analyser ce retour et de décider s’il est justifié ou non. Et de reprendre son texte dans la direction qui lui semble le mieux.
Faire une bêta-lecture : ne jamais reformuler
Et pourtant, qu’est-ce que c’est tentant pour un bêta-lecteur, lorsque l’on voit des tournures qui nous semblent maladroites.
« Oh, là, là, tu as une cascade de compléments ici, c’est très lourd à la lecture. Tu devrais couper la phrase ici, reformuler ça ! Voilà, comme ça ! Et hop, le tour est joué ! Tu vois, ça sonne quand même beaucoup plus joli comme ça, non ? »
Et tout comme les suggestions, ce serait une erreur. À titre personnel, j’ai déjà eu un bêta-lecteur qui, plein de bonne foi et avec une véritable envie de m’aider, m’a fait plein de reformulations sur un extrait. Le bêta-lecteur en question avait bien identifié des lourdeurs dans le texte. Aucune contestation possible de ma part. Cependant, ses reformulations, certes plus élégantes que les formulations d’origine, ne tenaient pas compte du point de vue narratif. Si je les avais suivies, cela aurait endommagé mon texte. J’ai donc revu tous les endroits qu’il m’avait pointés, mais à ma manière.
Une bêta-lecture réussie ne comporte aucune reformulation, car :
- c’est intrusif. Le bêta-lecteur n’est pas l’auteur du texte, et l’auteur du texte veut écrire SON histoire ;
- cela peut engendrer des problèmes légaux (si vous reprenez telles quelles les formulations de votre bêta-lecteur, au-delà d’un certain seuil, celui-ci pourrait prétendre à demander le statut de co-auteur) ;
- le but d’une bêta-lecture est d’aider un auteur à progresser dans sa pratique de l’écriture ; si le bêta-lecteur se substitue à l’auteur, alors jamais l’auteur ne progressera.
Faire une bonne bêta-lecture sur la forme d’un texte consiste donc à pointer les formulations bancales en expliquant pourquoi elles le sont.
Conclusion
Faire une bonne bêta-lecture, c’est aider l’auteur d’un texte à améliorer son manuscrit, sans pour autant se substituer à lui. Une bêta-lecture réussie comporte autant une partie « ressenti » que « diagnostic ». Dans cette fiche pratique, vous trouverez un exemple de bêta-lecture pour vous donner une meilleure idée de ce en quoi consiste l’exercice.
De la même manière, il est bon de travailler avec plusieurs bêta-lecteurs, dans la mesure où chacun d’eux a ses propres sensibilités.